Le singe de février est une guenon mâle. Elle s'appelle Fanny et ce n'est pas qu'une imitatrice. Elle s'accorde la faculté de juger, de s'insurger, de critiquer les goûts et les couleurs, l'intolérance, l'obscurantisme, le manque de naturel et les artifices. Elle a son blog, comme tout le monde, et tout à sa disposition sur YouTube. Dans sa vie, elle peut être journaliste et mère de famille mais aussi écrivaine, metteuse en scène, artiste. En tant que femme, elle choisit la durassique Marguerite contre la Pompadour et trouve ennuyeux Philippe Sollers, « mal à l'aise avec la liberté nouvelle des femmes ». En tant qu'homme – car il y a des Fanny-hommes – il n'a jamais le temps, saute de branche en branche, aime étaler ses fausses connaissances singeant, au hasard, Philippe Sollers, tout en espérant sa mort (littéraire).
Il
s'agit bien entendu du nouveau roman de Philippe Sollers, L'Ecole
du Mystère, paru chez Gallimard le 29 janvier dernier, au risque
de ses obsessions.
Le
problème des Fanny, nouvel archétype mâle ou femelle (où sont les
Raymond et Ginette de naguère ?), c'est leur monde : la
promiscuité, le conformisme, le bavardage, la modernité à tout
prix. En plus, ils ou elles enseignent, pianotent, mais ne lisent
pas. Et le sexe, c'est bien pire : d'une amorale pauvreté...
Contre
le bruit et la bouillie incarnés par les Fanny – on ne dira pas la
bêtise – il y a les Manon, « petites salopes sublimes »,
forcément moins nombreuses. Celles-là connaissent le vrai qui
« éclate dans la splendeur du beau », les jeux enfantins
brefs et frustres, grognements de truie, giclées de chien, mais
aussi les spasmes secs, les scènes très contradictoires. Manon peut
incarner tous les rôles imaginaires. Elle change de voix quand elle
veut, toujours menteuse, parfois « amoureuse », capable
de dire des horreurs mais en complice des hommes. C'est une
Muse, une vraie soeur ou une tante : un corps-soeur. Elle
sent bon le gazon, Manon, et elle sait dire oui, s'y rouler, dans la
joie du ciel. Elle connaît la peinture et la Nature, elle a
l'intelligence de l'insouciance, c'est sa suprême délicatesse. Mais
par-dessus tout elle sait se taire, elle aime le secret. La
discrétion, c'est elle. Elle est à l'Ecole du Mystère.
L'Ecole
du Mystère n'est pas celle de la sainte république laïque. « Elle
n'a rien de socialement nécessaire et il serait impossible de
décrire son programme ». C'est la Nature. Et pourtant c'est la
messe que Sollers veut célébrer, et d'abord la transsubstantiation,
le grand mystère de la Foi. Mécréant cependant. Et ça tient
debout. Ça
scintille en lui. Le ciboire du prêtre, le mouchoir taché de sang
de Louis Armstrong, le bleu du ciel, le rugby, les oiseaux, les bois,
les jardins....
Garder son enfance au bout des doigts.
On
y croit. Là-dessus, on ne dévoilera rien car c'est un mystère.
Mais
on peut lire ce livre lisible, chargé de mémoire vive, de fantasmes
sexuels et tout à fait gracieux – et pas comme les Fanny qui se
réveillent d'une imposture fabriquée par eux-mêmes sur le cas
Sollers. Aussi vrai que Clint
Eastwood tourne encore des films, voilà un écrivain de 78 ans qui
continue à fumer, à lire et à écrire un livre par an. Il est
actif. Il parle aux grands morts, c'est sa passion :
Lucrèce, Spinoza, Pascal, Baudelaire, Heidegger (qualifié de
penseur de premier ordre) et soudain, Louis XIV... Les acteurs n'ont
pas d'âge. Ils entrent et sortent des saynètes, comme des fugueurs.
Manon est d'accord, « elle est dans la nervure des
choses ». C'est du Sollers.
Sauf
que cette fois il les égratigne un peu, ses chers disparus, même
Céline et Proust, compagnons de toujours. Car au-dessus de tous, il
y a le déferlement du printemps et la joie du ciel.
Ici, Sollers donne vraiment l'impression d'être téléguidé par
l'Infini. On se dit qu'il finira forcément mais on n'y croit pas. On
ne lui voit pas de successeur. D'ailleurs, il n'y a pas de
Manon-homme.
Crom21
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