mardi 3 mars 2015

Le singe de février


Le singe de février est une guenon mâle. Elle s'appelle Fanny et ce n'est pas qu'une imitatrice. Elle s'accorde la faculté de juger, de s'insurger, de critiquer les goûts et les couleurs, l'intolérance, l'obscurantisme, le manque de naturel et les artifices. Elle a son blog, comme tout le monde, et tout à sa disposition sur YouTube. Dans sa vie, elle peut être journaliste et mère de famille mais aussi écrivaine, metteuse en scène, artiste. En tant que femme, elle choisit la durassique Marguerite contre la Pompadour et trouve ennuyeux Philippe Sollers, « mal à l'aise avec la liberté nouvelle des femmes ». En tant qu'homme – car il y a des Fanny-hommes – il n'a jamais le temps, saute de branche en branche, aime étaler ses fausses connaissances singeant, au hasard, Philippe Sollers, tout en espérant sa mort (littéraire).

Il s'agit bien entendu du nouveau roman de Philippe Sollers, L'Ecole du Mystère, paru chez Gallimard le 29 janvier dernier, au risque de ses obsessions.

Le problème des Fanny, nouvel archétype mâle ou femelle (où sont les Raymond et Ginette de naguère ?), c'est leur monde : la promiscuité, le conformisme, le bavardage, la modernité à tout prix. En plus, ils ou elles enseignent, pianotent, mais ne lisent pas. Et le sexe, c'est bien pire : d'une amorale pauvreté...

Contre le bruit et la bouillie incarnés par les Fanny – on ne dira pas la bêtise – il y a les Manon, « petites salopes sublimes », forcément moins nombreuses. Celles-là connaissent le vrai qui « éclate dans la splendeur du beau », les jeux enfantins brefs et frustres, grognements de truie, giclées de chien, mais aussi les spasmes secs, les scènes très contradictoires. Manon peut incarner tous les rôles imaginaires. Elle change de voix quand elle veut, toujours menteuse, parfois « amoureuse », capable de dire des horreurs mais en complice des hommes. C'est une Muse, une vraie soeur ou une tante : un corps-soeur. Elle sent bon le gazon, Manon, et elle sait dire oui, s'y rouler, dans la joie du ciel. Elle connaît la peinture et la Nature, elle a l'intelligence de l'insouciance, c'est sa suprême délicatesse. Mais par-dessus tout elle sait se taire, elle aime le secret. La discrétion, c'est elle. Elle est à l'Ecole du Mystère.

L'Ecole du Mystère n'est pas celle de la sainte république laïque. « Elle n'a rien de socialement nécessaire et il serait impossible de décrire son programme ». C'est la Nature. Et pourtant c'est la messe que Sollers veut célébrer, et d'abord la transsubstantiation, le grand mystère de la Foi. Mécréant cependant. Et ça tient debout. Ça scintille en lui. Le ciboire du prêtre, le mouchoir taché de sang de Louis Armstrong, le bleu du ciel, le rugby, les oiseaux, les bois, les jardins.... Garder son enfance au bout des doigts. On y croit. Là-dessus, on ne dévoilera rien car c'est un mystère.

Mais on peut lire ce livre lisible, chargé de mémoire vive, de fantasmes sexuels et tout à fait gracieux – et pas comme les Fanny qui se réveillent d'une imposture fabriquée par eux-mêmes sur le cas Sollers. Aussi vrai que Clint Eastwood tourne encore des films, voilà un écrivain de 78 ans qui continue à fumer, à lire et à écrire un livre par an. Il est actif. Il parle aux grands morts, c'est sa passion : Lucrèce, Spinoza, Pascal, Baudelaire, Heidegger (qualifié de penseur de premier ordre) et soudain, Louis XIV... Les acteurs n'ont pas d'âge. Ils entrent et sortent des saynètes, comme des fugueurs. Manon est d'accord, « elle est dans  la nervure des choses ». C'est du Sollers.

Sauf que cette fois il les égratigne un peu, ses chers disparus, même Céline et Proust, compagnons de toujours. Car au-dessus de tous, il y a le déferlement du printemps et la joie du ciel. Ici, Sollers donne vraiment l'impression d'être téléguidé par l'Infini. On se dit qu'il finira forcément mais on n'y croit pas. On ne lui voit pas de successeur. D'ailleurs, il n'y a pas de Manon-homme.

Crom21




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